GUY BOVET, Problèmes de notation et de transcription dans la « Facultad Organica » de Francisco Correa de Arauxo (1626) :: Philomusica on-line :: Rivista di musicologia dell'Università di Pavia

Contributo di Guy Bovet

 

Problèmes de notation et de transcription dans la « Facultad Organica » de Francisco Correa de Arauxo (1626)*

 

 

Au printemps 2007 est parue chez l’éditeur Ut Orpheus à Bologne,[1] une nouvelle édition, préparée par nos soins, de la « Facultad Organica » de Correa de Arauxo. Cette édition comprend une nouvelle transcription de toute la tablature et les traductions du traité, expliquées et réorganisées (Correa traitant le même problème à plusieurs reprises à différents endroits du traité, l’éditeur souhaitait regrouper tous les textes concernant le même problème) en français, allemand et anglais. Une édition japonaise est attendue pour mars 2008. L’éditeur, qui n’y était pas intéressé dans un premier temps, a l’intention d’ajouter, dans les prochains tirages, le texte original en espagnol et une traduction italienne. Le volume compte quelque 460 pages : il est donc prévu de faire une édition en plusieurs volumes, plus facile à transporter et à mettre sur un lutrin.

La transcription en notation usuelle de la « cifra » espagnole pose quelques problèmes intéressants. Le présent article, reflet d’une conférence donnée à l’Université de Crémone, les évoque et explique les solutions choisies dans l’édition de Ut Orpheus.

La Facultad Organica de Correa de Arauxo est notée en cifra espagnole. Ce système très simple et d’une exemplaire clarté utilise les chiffres arabes 1 à 7 pour les notes Fa à Mi.

Chaque voix est notée sur une ligne, ce qui permet d’écrire sans difficultés les croisements de voix. La tessiture des notes est exprimée au moyen de petits traits (rasguillos), ainsi que de points ou apostrophes.

Exemple No 1

Siguese el arte de poner por cifra

CORREA, Facultad Organica, Arnao, 1626, f. 13r.

 

Les dièses et bémols sont marqués par des signes aisément lisibles, ressemblant à nos signes habituels :
 

Exemple No 2

Capitulo Segundo de los signos del Organo del genere cromatico

CORREA, Facultad Organica, Arnao, 1626, ff. 14r e 13v.

 

Les rythmes sont notés en surmontant le texte musical de la plus petite valeur en usage dans le passage, cette valeur restant en vigueur jusqu’à indication d’une nouvelle valeur :

Exemple No 3

Tiento de quinto tono

CORREA, Facultad Organica, A) Arnao, 1626; B) Ut Orpheus, 2007, bb. 86-89.

 

Cette tablature est très facilement lisible, même prima vista, moyennant un peu d’habitude. La seule difficulté réside dans celle de lire les rasguillos, très petits, difficiles à imprimer, et qui peuvent facilement se confondre avec des taches d’encre ou des impuretés du papier. Les erreurs sont presque impossibles, mis à part la confusion occasionnelle du 2 (imprimé Z) et du 7, en cas d’encrage déficient à l’impression. Les autres erreurs sont de grosses fautes humaines, comme de mettre un chiffre pour un autre, très rares dans la Facultad. Des erreurs rythmiques (par exemple faute de valeur ou déplacement d’une indication de valeur) sont possibles, mais également pratiquement inexistantes dans le traité de Correa.

Les difficultés d’une transcription destinée au grand public, dont le but est de contribuer à la connaissance et à la popularité d’une œuvre, viendraient plutôt de défauts inhérents à notre notation moderne, et non à la tablature espagnole, qui est quasiment parfaite.

Dans le cas de Correa, on peut presque entièrement mettre de côté les problèmes de semitonie, l’auteur étant extrêmement soigneux et précis. On en trouve beaucoup plus, par exemple, dans les œuvres d’Antonio de Cabezón, publiées au moyen de la même tablature par son fils Hernando, mais elles ne viennent pas de la notation, mais des usages confus de l’époque et des différences d’opinion ou incertitudes que l’on trouve et dans la musique, et dans les traités. Elles seraient les mêmes, quelque soit le système d’écriture musicale.

Les problèmes que l’on trouve sont presque exclusivement graphiques. Ils ont trait principalement à la marche des voix, au groupement des notes et à la notation rythmique. Dans tous ces cas, l’éditeur est obligé, nolens volens, de prendre des décisions parfois graves, qui sont toujours discutables.

 

Marche des voix

 

Dans l’édition pratiquée jusqu’ici de l’Unión Musical Española (1952, réimprimée en 1974), préparée par Santiago Kastner, le S et l’A sont toujours notés sur la portée supérieure, le T et la B sur celle d’en bas. Cette manière de faire a l’avantage d’offrir une vision claire de la marche des voix, mais la lecture est rendue difficile lors des croisements (très fréquents chez Correa) entre l’A et le T, nécessitant jusqu’à cinq lignes supplémentaires, qui peuvent aussi causer un éloignement considérable entre les pentagrammes.

Dans les medios registros, une voix de l’accompagnement se trouve sur la portée du solo, ce qui est aussi une difficulté pour la lecture. Dans l’édition de Ut Orpheus, on a adopté une disposition à l’italienne semblable à celle qu’on trouve dans les Toccate de Frescobaldi : les notes jouées par la main droite (m.d.) sont placées sur le pentagramme supérieur, celles de la main gauche (m.g.) sur celui du bas. La lecture et le jeu sont beaucoup plus faciles, mais la marche des voix est évidemment moins claire et doit être exprimée par la direction des hampes, des traits pointillés et des indications placées en-dessus ou en-dessous des portées, donnant la position des voix au moyen de lettres SATB. Cette solution comporte en outre un certain arbitraire, chaque interprète n’ayant pas les mains de la même étendue.

Exemple No 4

Tiento de undecimo tono

CORREA, Facultad Organica, A) Union Musical Española, 1952; B) Ut Orpheus, 2007, bb. 72-73.

 

Dans les medios registros, le solo est sur une portée, l’accompagnement sur l’autre (sauf quelques rares exceptions).

Exemple No 5

Tiento de medio registro de tiple de quarto tono

CORREA, Facultad Organica, A) Union Musical Española, 1952; B) Ut Orpheus, 2007, bb. 26-28.

 

Quant aux pièces à cinq voix, elles exigent toujours des compromis, quelque soit le système choisi.

La préférence a donc été donnée à une lisibilité pratique et immédiate. La reconstruction de la marche des voix, lorsqu’elle n’est pas immédiatement visible, est quand même possible, mais elle exige un peu d’attention.

 

Groupement des notes

 

La tradition et l’habitude veulent que les séries de doubles croches soient normalement groupées par 4. Cette habitude a été suivie dans l’édition de Kastner. Une transcription neutre et aussi proche que possible de la tablature exigerait que toutes les valeurs courtes soient écrites note par note :

Exemple No 6

Tiento y discurso de segundo tono

CORREA, Facultad Organica, Ut Orpheus, 2007, bb. 59-62.

 

Cette manière de faire est inusitée, peu lisible et rébarbative. Cependant, le groupement par 4 a des effets pervers : beaucoup de musiciens (en particulier ceux qui ont étudié la musique ancienne, donc les premiers destinataires d’une édition comme la nôtre) ont pris la mauvaise habitude de mettre systématiquement et automatiquement des accents sur la première note de chaque groupe qu’ils voient. Il était donc indispensable de les en empêcher.

C’est pourquoi nous avons décidé de grouper les petites valeurs par 8, voire par 16, en espérant que la chose soit assez insolite pour éveiller l’attention de l’interprète (que l’on suppose de bonne foi), et pour bloquer l’automatisme ; et même si cette disposition n’a pour effet que de les faire mettre l’accent sur une note sur huit au lieu d’une sur quatre, on aura au moins réduit le défaut de moitié, ce qui serait déjà un petit progrès.

Quant aux groupes ternaires, le cas est différent, car il y en a de deux sortes selon Correa : l’une se compose de notes égales (6 = 3x2, etc.), et l’auteur le signale par un petit 2 placé au début des mesures. L’autre demande une certaine inégalité (6 = 2x3), appelée ayrezillo, que Correa explique assez longuement, et qu’il signale par un petit 3. Dans cette manière de jouer, un fort accent est effectivement donné sur la première note de chaque groupe de 3, équivalant presque à en doubler la valeur. Lorsque l’ayrezillo s’applique à des croches, on peut les écrire par 3. Mais il s’applique également à d’autres valeurs, et lorsqu’il s’agit de noires, voire de blanches, il n’y a pas moyen de les relier. Dans notre édition nous avons dans ces cas légèrement rapproché les groupes de trois notes ; par ailleurs, les petits 2 et 3 ont toujours été reproduits :

Exemple No 7

Tiento de decimo tono.

CORREA, Facultad Organica, Ut Orpheus, 2007, bb. 33-35.

 

Notation rythmique

 

Même si la notation espagnole est très claire à cet égard, c’est dans ce domaine que la transcription moderne est la plus difficile et la plus arbitraire. Heureusement, certains problèmes qui pourraient paraître compliqués sont rendus faciles par le système de la tablature. Par exemple, le placement des notes dans la polyrythmie ne pose aucun problème, car la tablature superpose exactement les notes qui doivent être jouées simultanément. Il suffit donc de faire la même chose. Il en résulte parfois des phénomènes apparemment bizarres, les durées effectives des notes ne correspondant pas à leur valeur mathématique : une notation moderne absolument ‘correcte’ exigerait des ‘valeurs ajoutées’ pour certaines notes, ce qui surchargerait le graphisme. On y a donc renoncé.

Des incertitudes subsistent dans certaines pièces où des valeurs plus longues sont subdivisées en groupes ternaires. Par exemple, lorsque Correa subdivise une blanche par 6, il utilise normalement des noires ; donc, une blanche vaut subitement 6 noires et par conséquent, ces 6 noires en valent 2, ce qui est en principe absurde. Kastner, dans ces cas, note des triolets de croches, ce qui est correct au niveau du solfège, mais pas à celui de l’image. Pourtant, il arrive – rarement – que Correa utilise des groupes de trois croches ; la raison de ces choix est restée mystérieuse. Mais il faut tout de même en déduire que la notation de Correa doit être respectée.

Exemple No 8

Segundo tiento de medio registro de tiple.

CORREA, Facultad Organica, Ut Orpheus, 2007, bb. 11-12.

 

Les cas les plus embarrassants ont lieu lorsque les valeurs ne sont pas spécifiées du tout et qu’il faut les déduire du nombre de notes d’une des voix correspondant à celui de l’autre voix. Mais parfois, le choix peut être soudain contredit par une seule indication rythmique, et il faut tout recommencer.

C’est là que les décisions deviennent les plus difficiles et les plus arbitraires. Il a fallu les prendre en tenant compte de la lisibilité : mais certaines habitudes modernes, logiques et correctes s’en trouvent parfois contrariées et il faut attendre de l’interprète une certaine ingénuité dans la lecture, qui doit être faite comme celle d’une tablature, en jouant simultanément ce qui est noté simultanément sans se soucier de la valeur des notes. Il n’y a malheureusement pas toujours moyen d’adopter une politique conséquente et les problèmes doivent être résolus cas par cas, ce qui n’est intellectuellement pas satisfaisant.

Mentionnons en passant que d’autres difficultés peuvent être causées par l’emploi variable que Correa fait des signatures proportionnelles. Mais ce sujet n’entre pas dans le propos du présent article.

Enfin, notre compositeur n’est pas conséquent non plus dans la notation des valeurs pointées et des syncopes, utilisant indifféremment les valeurs pointées ou les liaisons. La musique nous dit de manière certaine que l’une manière vaut l’autre. Mais dans des situations rythmiques difficiles, il a fallu choisir la façon la plus lisible : une valeur pointée longue située au début d’une mesure peut facilement être oubliée et dans ce cas, la liaison est plus claire. D’autres difficultés surgissent lorsqu’une valeur pointée enjambe la barre de mesure.

Enfin, il y a des problèmes d’interprétation de certains rythmes plus ou moins syncopés, comme par exemple le 3+3+2, qui apparaît relativement souvent. Il est clair que l’interprète aura une impression différente du même passage dans les graphismes suivants :

Exemple No 9

Le transcripteur finit donc par être acculé à donner, sans le vouloir, un avis personnel sur l’interprétation, l’articulation et l’accentuation.

Ces problèmes touchent à la quadrature du cercle, et personne ne pourra jamais avoir une conscience absolument tranquille après avoir fait une telle transcription. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Il reste à espérer que l’omelette soit bonne.

 

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[Bio] Guy Bovet, organista della Chiesa Collegiata di Neuchâtel, è Professore alla Musikhochschule di Basilea. Concertista, studioso e ricercatore ha pubblicato in riviste musicali più di 2000 articoli vari su argomenti relativi all’organo e nel 2007 una nuova edizione della Facultad organica (1626) di Francisco Correa de Arauxo presso Ut Orpheus di Bologna. È redattore principale del periodico organistico svizzero «La Tribune de l’Orgue».

Guy Bovet is Professor at the Musikhochschule in Basel and organist of the Collegiate Church of Neuchâtel. As scholar and researcher he has published over 2000 various articles in music journals on matters related to the organ. His new edition of Francisco Correa de Arauxo’s Facultad organica (1626) has been published in 2007 by Ut Orpheus in Bologna. He is chief editor of the Swiss organ periodical «La Tribune de l’Orgue».

[*] Excerpts from: FRANCISCO CORREA DE ARAUXO, Libro de Tientos y Discursos de Musica practica, y theorica de Organo intitulado Facultad organica, Alcalà, Antonio Arnao, 1626; IDEM, Facultad organica, ed. by M.S. Kastner, Barcelona, Union Musical Española, 1952; IDEM, Facultad Organica, ed. by Guy Bovet, Bologna, Ut Orpheus, 2007.

[1] Piazza di Porta Ravegnana 1, IT-40126 Bologna (www.utorpheus.com)

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